— Je lis dans vos feuilles ?
Sans attendre une réponse, elle s’est emparée de ma tasse avec ses petites mains blanches et froides. La tête penchée, une masse de cheveux roux éclipsant son visage, elle a remué trois fois les restes de mon Darjeeling. Son rituel terminé, elle a repoussé sa tignasse à l’intérieur de son capuchon. Elle prenait le temps de potasser mon destin, son pouce caressant une lézarde dans la tasse.
Soudain, elle a relevé la tête et a plongé son regard bruineux dans le mien. L’espace d’un instant, j’ai senti quelque chose grouiller au fond de moi. J’ai rougi en m’éclaircissant la gorge. Elle a soupiré :
— Mon pauvre, vous n’avez aucun avenir devant vous.
Premier ouvrage de Caroline Thérien, le recueil de nouvelles Ce que l’avenir ne dira pas explore les arcanes d’un monde crépusculaire que la poésie parvient toujours à ré-enchanter. Sous la plume à la fois décapante et lyrique de l’auteure, le destin de jeunes faussement blasés et de vieux très sages se croisent. Parfois, un détail en apparence trivial porte en lui le sens profond des choses. D’autres fois, un souffle épique s’éteint avec le jour. Ainsi, une femme retourne sur les lieux d’une tragique noyade ; un couple âgé couvent un œuf de corbeau ; un enquêteur passe une nuit dans la demeure d’une suicidée… Au fil d’intrigues trouées et d’une narration résolument elliptique, la nouvellière brosse à traits fins le portrait de générations qui peinent à dialoguer, mais qui finissent par se rejoindre dans l’attente de ce qui viendra. Ou ne viendra pas.